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11 février 2013

Il y a des moments où...

 

 

 Publié sur Friture Mag dans la Chronique Bancs Publics  Il y a des moments où...


Il y a des moments où on se décourage. On se sait plus si notre métier profite à quelqu’un, si on est efficace pour les élèves, si ces temps de préparation et de réflexion valent le coup d’y laisser une telle énergie. 

Dans ces temps de changement, car, oui il y a du changement, simplement pas celui que l’on souhaitait, on entre tout de même dans une période de remise en question politique mais aussi des acteurs sur le terrain.
On espère qu’on va nous aider, nous encourager, on s’attend à un certain soutien mais on nous laisse finalement sur le carreau et l’idée de quitter le navire commence à montrer le bout de son nez.


Il y a des moments où on ne se sent pas bien dans cette institution. On nous rappelle sans arrêt que la difficulté scolaire est présente, on nous évalue, on nous infantilise, on nous demande de rendre des comptes, on évalue les élèves pour en conclure que cette difficulté persiste, on nous fait porter cette responsabilité, on nous fait remplir de la paperasse pour nous suggérer qu’on doit se mettre à la tâche - comme si on passait nos journées à faire des bulles - on nous répète sans cesse qu’on a des objectifs à remplir.
Il y a des moments où on se noie dans ces attentes insatiables.
On se sent surmenés, je dirais même malmenés et délaissés.


Il y a des moments où on se sent aliénés dans un système qui va mal.
Où on ne supporte plus de devoir formater de futurs travailleurs disciplinés sans prendre en compte leur développement personnel.
Où les activités épanouissantes ont peu de place dans les programmes et dans la répartition hebdomadaire de celles-ci, où on attend le moment et le plaisir de voir le regard des élèves s’illuminer lorsqu’on sort les peintures, les pinceaux, où l’écoute de la musique leur vide l’esprit, où les temps de débat et de réflexion sur la vie leur offrent l’occasion de s’exprimer et de découvrir une autre vision du monde que leur subjectivité ne peut pas leur offrir, et puis les temps de défoulement et de cohésion collective avec des jeux sportifs.
Il y a des moments où le verbe, le sujet et les tables de multiplication nous sortent par les yeux.
Ou être toujours sur le qui-vive, vérifier que tout le monde avance à son rythme, s’assurer que tout le monde se sente bien dans cette usine, nous affaiblit.


Et puis il y a ces moments où il y a les collègues.
Les collègues qui sont dans le même navire, qui rament dans le même sens, mais qui sont toujours motivés et habités par cette volonté de se battre.
Ces collègues qui, quoiqu’en pense l’opinion publique sur leurs intentions de se serrer les coudes, ont toujours la hargne et la force de lutter.
Ces collègues qui, quand t’es sur le point de tout lâcher, n’ont heureusement pas cette démotivation en même temps que toi.
Ces collègues qui te remémorent pourquoi on est là, qui mobilisent ton attention sur les joies de la classe, ces moments plein de vie, de sourire, de regards curieux, qui n’attendent qu’une chose c’est d’apprendre à grandir, tomber, se relever, découvrir le monde et avoir les outils pour l’affronter.
Ces collègues qui te remettent en mémoire que, oui les élèves apprennent, oui, ils te font confiance, oui, ils sont bien avec toi.
Ces collègues qui te font sortir de cette difficulté scolaire ambiante et qui te remettent dans la dynamique de voir la réussite de chacun. Que même si Rachid, Esmeralda ou Bérénice ne sait toujours pas lire, il a appris les sons, il écrit maintenant quelques syllabes.
Que les satisfactions se trouvent dans la réalisation de petits objectifs.


Il y a ces collègues qui te disent que tu as sorti les voiles mais que tu n’as pas pris le vent du bon côté. Ils te communiquent à nouveau cette énergie entreprenante, te galvanisent, te redonnent cette force pour voir ce verre à moitié plein que tu ne voyais plus, aveuglée par le mépris de l’institution.
Ils te rappellent que tu l’aimes ce métier mais que tu l’as juste oublié.

Pour élargir cette réflexion à tout corps de métier, je crois que nos dirigeants manquent justement de pédagogie. Lorsqu’ils demandent des efforts au travail, ils sous-estiment la force d’action de chacun. Lorsqu’ils blablatisent sur le coût du travail, ils oublient ce que ça coûte à chacun et que le travail est plutôt une richesse qui participe à faire tourner la manivelle.
Ils enterrent l’idée que pour remotiver les troupes, il faut les encourager et les valoriser.
Si eux aussi prenaient le vent dans le bon sens, on aurait un peuple souriant et serein.


Quoiqu’ils en pensent, soyons fiers de ce que nos mains, nos corps et nos esprits apportent.
Ne l’oublions pas, chacun a sa place ici.

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