Publié sur Friture Mag dans la Chronique Bancs Publics Violence institutionnelle : et si on enseignait autrement ?
La violence à l’École est un terme récurrent qui touche l’éducation. On parle souvent de violences physiques ou verbales entre élèves ou d’élèves à enseignants. Mais on entend peu parler de violence institutionnelle, celle générée par l’Institution elle-même.
Va au coin...
Comment qualifie-t-on un système dans lequel des acteurs en
construction sont cloisonnés dans un milieu qui ne leur appartient pas
et dans lequel ils ne se sentent parfois pas les bienvenus ? Un système à
la fois punitif, dévalorisant et culpabilisant qui semble être accepté
et toléré de tous, laissant entendre qu’il n’existe qu’une seule façon
d’éduquer ? Je parle ici de violence psychologique ou symbolique liée
aux contraintes des missions et du fonctionnement de l’École.
Mettons-nous à la place d’un élève lambda qu’on appellera Yanis et
étudions quelques situations qui peuvent générer cette violence.
Commençons par les effectifs de classe. Plus une classe est
nombreuse, moins l’enseignant peut apporter une aide ou un soutien
individuel. Yanis n’est ni en difficulté ni en réussite mais il a besoin
de se sentir bien pour apprendre. Au lieu de ça, il se sent négligé car
la maîtresse ne lui adresse la parole qu’une seule fois dans la
journée. « Elle parle toujours aux autres. »
En réponse à cette situation, Yanis n’a pas envie d’apprendre.
Arrivent ensuite les évaluations. Yanis n’a pas réussi, il était
angoissé car il avait peur de se tromper. Sur son livret, la maîtresse
pointe ses difficultés et ne mentionne pas ce qu’il est capable de
faire. « Pfff y a toujours quelque chose qui va pas, j’y arriverai jamais... » Yanis a besoin qu’on l’encourage.
Les
autres de la classe comparent leurs résultats et font les malins. Yanis
ne se sent pas à la hauteur. Une invitation à la concurrence et à
l’individualisme s’installe.
Yanis sera ensuite stigmatisé avec des dispositifs tels que des PPRE
(Programme Personnalisé de Réussite Educative), élaborés par la
maîtresse et la famille lors de réunions appelées Equipes educatives
dans lesquelles les acteurs de la réussite de l’enfant réfléchissent à
des solutions pour que Yanis « se mette sérieusement au travail ».
C’est dans ces réunions qu’on fait culpabiliser les parents en leur
rappelant qu’ils pourraient s’atteler un peu plus à la tache.
Yanis est aussi montré du doigt car désormais il doit venir plus tôt
le matin pour faire les heures d’Aide Personnalisée. Il aime bien être
en petit groupe avec la maîtresse mais il a commencé à prendre du retard
et ne comprends plus ce qu’on lui demande.
Et puis Yanis est perdu dans ce système dans lequel les règles de vie
de l’école et de la classe sont imposées telles une morale bien
pensante qu’il ne comprend pas et n’intègre pas. Alors, pour montrer
qu’il existe, il commence à faire « le pitre », (« Ah, ça tu sais faire !! »)
Et qui ne respecte pas les règles, est puni... Yanis est souvent exclu de classe.
« Non
seulement je suis en difficulté scolaire, mais en plus je ne sers à
rien et je vais même jusqu’à déranger. Aller à l’école pour me retrouver
à la porte ne me motive pas, aller à l’école pour faire plaisir à la
maîtresse ou aux parents ne me transcende pas, aller à l’école pour
vivre sous des règles qui m’échappent ne m’emballe pas...
Qui suis-je ? Où vais-je ? Dans quel état j’erre ? Je décroche... »
Qui suis-je ? Où vais-je ? Dans quel état j’erre ? Je décroche... »
Comment se construire dans de telles conditions et être disponible
pour apprendre et comprendre le monde qui nous entoure ? Comment
prévenir cette violence ?
Penser et faire différemment semble être une alternative à prendre en compte.
La pédagogie institutionnelle, kézaco ?
La pédagogie institutionnelle remonte au début du XXeme siècle. L’instituteur Célestin Freinet qui militait pour une Ecole Emancipée et une Education Nouvelle Populaire a mis en place des ( ) classes coopératives. Plus tard, le mouvement de la pédagogie institutionnelle s’est dégagé avec Jean Oury.
En quoi ça consiste ?
C’est un réaménagement de
l’espace, du temps et du fonctionnement dans la classe autour d’une
institution plus ou moins créée et gérée par les élèves eux-mêmes.
Elle prévoit des espaces et des temps de parole libre autour d’activités ritualisés.
Les
enfants se réunissent dans un coin en Conseil de Classe, mené par un
des élèves pour prendre des décisions démocratiquement. Ils proposent
des solutions pour régler une situation et votent pour choisir la
réponse adaptée.
C’est ainsi que sont élaborées les règles de vie de
la classe. On part d’un problème, on se questionne pour trouver une
réponse à ce problème, on ajoute une règle à notre règlement. C’est
quand même plus sympa quand c’est nous qui choisissons les règles du
jeu...
Les temps de parole libre se retrouvent aussi autour du « Quoi de neuf ? ».
Un élève raconte devant toute la classe ce qu’il a fait de farfelu dans
le week-end ou présente un objet qui sort de l’ordinaire.
Le tout
mené par un élève qui donne la parole aux autres, et un enseignant en
retrait qui vérifie d’un coin de l’œil que le débat ne dérive pas.
« Maitrêêêsse ! » - « Ah je ne peux rien pour toi, tu vois avec le responsable »
La pédagogie institutionnelle c’est aussi un collectif coopératif en
autogestion. Chaque élève a un métier dans la classe, qui peut aller de
ramasseur de cahier, à responsable de clés en passant par écrire le nom
des absents mais aussi facteur ou photocopieur, arroseur de fleurs... Le
matin, ce sont les élèves qui mettent la classe en route. C’est une
manière non seulement de les rendre responsables de la tenue de la
classe mais aussi de servir à quelque chose dans ce fonctionnement.
Quand un élève est absent la maîtresse est bien embêtée... Grâce à ces
responsabilités, la classe passe d’un lieu impersonnel à un lieu de vie
qui fourmille et dans lequel chacun a une place importante. Les termes
de concurrence et d’individualisme laissent place à l’entraide et au
respect de l’autre.
Mais comment se répartissent ces métiers ?
Les
Ceintures de couleurs sont un outils inspiré des ceintures de judo.
Chaque couleur correspond à des compétences, qui donnent des droits dans
la classe et des métiers.
Par exemple, pour passer de la ceinture
jaune à la ceinture orange je dois être capable de m’occuper sans
déranger si j’ai fini un travail, j’ai ensuite le droit de me lever pour
prendre un livre à la bibliothèque ou d’aider un copain qui bloque et
cette ceinture me donne accès à plusieurs métiers.
On passe d’un
système punitif à un système valorisant qui donne envie d’avancer. Grâce
à cet outils, l’élève arrive à se situer et voit qu’il grandit.
C’est tout bénef’. La pédagogie institutionnelle rend une classe
vivante, investie, qui permet un rapport différent et déculpabilisant à
l’apprentissage.
Notre petit Yanis serait mobilisé pour grandir et apprendre pas seulement pour faire plaisir à la maîtresse ou à ses parents.
Plutôt que former des moutons disciplinés et névrosés cette pédagogie
tend à former des citoyens responsables et autonomes. Elle entre
entièrement dans les exigences du ministère qui visent à faire acquérir « d’une part des compétences sociales et civiques et, d’autre part, de l’autonomie et de l’initiative des élèves ».
Si le changement de société doit passer aussi par l’Ecole, je trouve
ça dommage que la formation de professeurs, même si elle mentionne ces
pédagogies alternatives, ne s’y intéresse pas de plus près.
extrêmement intéressant, surtout cette idée de pédagogie institutionnelle, probablement reprit d'une certaine manière dans ces lieux tel que le Hameaux des Buis, les Amanins, etc
RépondreSupprimer