Pages

19 avril 2013

Violence institutionnelle : et si on enseignait autrement ?





Publié sur Friture Mag dans la Chronique Bancs Publics Violence institutionnelle : et si on enseignait autrement ?

La violence à l’École est un terme récurrent qui touche l’éducation. On parle souvent de violences physiques ou verbales entre élèves ou d’élèves à enseignants. Mais on entend peu parler de violence institutionnelle, celle générée par l’Institution elle-même. 

Va au coin...

Comment qualifie-t-on un système dans lequel des acteurs en construction sont cloisonnés dans un milieu qui ne leur appartient pas et dans lequel ils ne se sentent parfois pas les bienvenus ? Un système à la fois punitif, dévalorisant et culpabilisant qui semble être accepté et toléré de tous, laissant entendre qu’il n’existe qu’une seule façon d’éduquer ? Je parle ici de violence psychologique ou symbolique liée aux contraintes des missions et du fonctionnement de l’École.

Mettons-nous à la place d’un élève lambda qu’on appellera Yanis et étudions quelques situations qui peuvent générer cette violence.

Commençons par les effectifs de classe. Plus une classe est nombreuse, moins l’enseignant peut apporter une aide ou un soutien individuel. Yanis n’est ni en difficulté ni en réussite mais il a besoin de se sentir bien pour apprendre. Au lieu de ça, il se sent négligé car la maîtresse ne lui adresse la parole qu’une seule fois dans la journée. « Elle parle toujours aux autres. »
En réponse à cette situation, Yanis n’a pas envie d’apprendre.

Arrivent ensuite les évaluations. Yanis n’a pas réussi, il était angoissé car il avait peur de se tromper. Sur son livret, la maîtresse pointe ses difficultés et ne mentionne pas ce qu’il est capable de faire. « Pfff y a toujours quelque chose qui va pas, j’y arriverai jamais... » Yanis a besoin qu’on l’encourage.

Les autres de la classe comparent leurs résultats et font les malins. Yanis ne se sent pas à la hauteur. Une invitation à la concurrence et à l’individualisme s’installe.

Yanis sera ensuite stigmatisé avec des dispositifs tels que des PPRE (Programme Personnalisé de Réussite Educative), élaborés par la maîtresse et la famille lors de réunions appelées Equipes educatives dans lesquelles les acteurs de la réussite de l’enfant réfléchissent à des solutions pour que Yanis « se mette sérieusement au travail ». C’est dans ces réunions qu’on fait culpabiliser les parents en leur rappelant qu’ils pourraient s’atteler un peu plus à la tache.

Yanis est aussi montré du doigt car désormais il doit venir plus tôt le matin pour faire les heures d’Aide Personnalisée. Il aime bien être en petit groupe avec la maîtresse mais il a commencé à prendre du retard et ne comprends plus ce qu’on lui demande.

Et puis Yanis est perdu dans ce système dans lequel les règles de vie de l’école et de la classe sont imposées telles une morale bien pensante qu’il ne comprend pas et n’intègre pas. Alors, pour montrer qu’il existe, il commence à faire « le pitre », (« Ah, ça tu sais faire !! »)

Et qui ne respecte pas les règles, est puni... Yanis est souvent exclu de classe.
« Non seulement je suis en difficulté scolaire, mais en plus je ne sers à rien et je vais même jusqu’à déranger. Aller à l’école pour me retrouver à la porte ne me motive pas, aller à l’école pour faire plaisir à la maîtresse ou aux parents ne me transcende pas, aller à l’école pour vivre sous des règles qui m’échappent ne m’emballe pas...
Qui suis-je ? Où vais-je ? Dans quel état j’erre ? Je décroche... »

Comment se construire dans de telles conditions et être disponible pour apprendre et comprendre le monde qui nous entoure ? Comment prévenir cette violence ?
Penser et faire différemment semble être une alternative à prendre en compte.

La pédagogie institutionnelle, kézaco ?

La pédagogie institutionnelle remonte au début du XXeme siècle. L’instituteur Célestin Freinet qui militait pour une Ecole Emancipée et une Education Nouvelle Populaire a mis en place des ( ) classes coopératives. Plus tard, le mouvement de la pédagogie institutionnelle s’est dégagé avec Jean Oury.

En quoi ça consiste ? 
 
C’est un réaménagement de l’espace, du temps et du fonctionnement dans la classe autour d’une institution plus ou moins créée et gérée par les élèves eux-mêmes.
Elle prévoit des espaces et des temps de parole libre autour d’activités ritualisés.
Les enfants se réunissent dans un coin en Conseil de Classe, mené par un des élèves pour prendre des décisions démocratiquement. Ils proposent des solutions pour régler une situation et votent pour choisir la réponse adaptée.
C’est ainsi que sont élaborées les règles de vie de la classe. On part d’un problème, on se questionne pour trouver une réponse à ce problème, on ajoute une règle à notre règlement. C’est quand même plus sympa quand c’est nous qui choisissons les règles du jeu...
Les temps de parole libre se retrouvent aussi autour du « Quoi de neuf ? ». Un élève raconte devant toute la classe ce qu’il a fait de farfelu dans le week-end ou présente un objet qui sort de l’ordinaire.
Le tout mené par un élève qui donne la parole aux autres, et un enseignant en retrait qui vérifie d’un coin de l’œil que le débat ne dérive pas.

« Maitrêêêsse ! » - « Ah je ne peux rien pour toi, tu vois avec le responsable »

La pédagogie institutionnelle c’est aussi un collectif coopératif en autogestion. Chaque élève a un métier dans la classe, qui peut aller de ramasseur de cahier, à responsable de clés en passant par écrire le nom des absents mais aussi facteur ou photocopieur, arroseur de fleurs... Le matin, ce sont les élèves qui mettent la classe en route. C’est une manière non seulement de les rendre responsables de la tenue de la classe mais aussi de servir à quelque chose dans ce fonctionnement. Quand un élève est absent la maîtresse est bien embêtée... Grâce à ces responsabilités, la classe passe d’un lieu impersonnel à un lieu de vie qui fourmille et dans lequel chacun a une place importante. Les termes de concurrence et d’individualisme laissent place à l’entraide et au respect de l’autre.

Mais comment se répartissent ces métiers ?

Les Ceintures de couleurs sont un outils inspiré des ceintures de judo. Chaque couleur correspond à des compétences, qui donnent des droits dans la classe et des métiers.
Par exemple, pour passer de la ceinture jaune à la ceinture orange je dois être capable de m’occuper sans déranger si j’ai fini un travail, j’ai ensuite le droit de me lever pour prendre un livre à la bibliothèque ou d’aider un copain qui bloque et cette ceinture me donne accès à plusieurs métiers.
On passe d’un système punitif à un système valorisant qui donne envie d’avancer. Grâce à cet outils, l’élève arrive à se situer et voit qu’il grandit.

C’est tout bénef’. La pédagogie institutionnelle rend une classe vivante, investie, qui permet un rapport différent et déculpabilisant à l’apprentissage.
Notre petit Yanis serait mobilisé pour grandir et apprendre pas seulement pour faire plaisir à la maîtresse ou à ses parents.

Plutôt que former des moutons disciplinés et névrosés cette pédagogie tend à former des citoyens responsables et autonomes. Elle entre entièrement dans les exigences du ministère qui visent à faire acquérir « d’une part des compétences sociales et civiques et, d’autre part, de l’autonomie et de l’initiative des élèves ».

Si le changement de société doit passer aussi par l’Ecole, je trouve ça dommage que la formation de professeurs, même si elle mentionne ces pédagogies alternatives, ne s’y intéresse pas de plus près.

1 commentaire:

  1. extrêmement intéressant, surtout cette idée de pédagogie institutionnelle, probablement reprit d'une certaine manière dans ces lieux tel que le Hameaux des Buis, les Amanins, etc

    RépondreSupprimer